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Les Chevessand
20 novembre 2022

3- L'impossible amitié Acte III

L'impossible amitié - Acte III scène 1 Voltaire/Diderot/D'Alembert + scène 2 Voltaire + scène 3 Voltaire/Necker

    Madame Necker

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Acte III – Scène 1 -  Voltaire/Diderot/D’Alembert – Aux délices -
Où Jean-Jacques devient le centre des préoccupations –(6 répliques JJ)
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[Voltaire, ne tenant pas en place]
Quelle impudence ce Rousseau, un texte qui dément tout ce qu’on pensait de lui, où il montre enfin son vrai visage. Ah, il a bien joué la comédie et il se montre enfin tel qu’il est.  Que signifie cette attaque en règle, véritable agression à notre encontre, avec sa lettre sur les spectacles ? Il nous traite carrément d’artistes de salon ! Incroyable. Son texte est un libelle dirigé contre nous !
[Diderot] Détrompez-vous, mon cher, il brassait ce genre d’idée depuis quelque temps déjà, je suis bien placé pour le savoir. De plus, Jean-Jacques a été plutôt flatté de servir de cible à des hommes aussi connus que Grimm ou Marmontel et d’avoir focalisé l’attention du tout Paris sur sa personne, même si en aucun cas, il ne dédaignerait fréquenter ce milieu.[D’Alembert] En fait, c’est mon article sur Genève, écrit pour l’Encyclopédie, qui a tout déclenché. J’y condamnais le dogmatisme de Calvin et l’interdiction des représentations théâtrales dans la cité. C’est sans doute mon exemple de Genève, sa chère patrie, qui lui a chatouillé l’épiderme et l’a fait réagir ainsi. J’ai eu connaissance de son texte mais je n’ai pas souhaité y donné suite. Depuis, bien sûr, tout s’est gâté.

[Jean-Jacques (qui intervient sur le devant de scène)]
Ne voyez-vous pas cher collègue que le théâtre n’est qu’occasion de s’évader dans des distractions oiseuses, donnant parfois dans l’immoralité et certes pas un spectacle plaisant et édifiant comme vous semblez le penser.

[Diderot] Il faut dire qu’il me semble avoir l’épiderme fort sensible depuis une polémique à propos d’une phrase extraite de mon texte "Le fils naturel", qui l’a apparemment heurtée, phrase somme toute assez anodine je trouve : « Il n’y a que le méchant qui soit seul », qu’il a prise pour lui. Il m’a battu froid un temps mais je ne lui en ai point tenu rigueur.
[Voltaire] Eh bien nous y voilà ! Sacrebleu, ce paltoquet a le chic pour envoyer ce genre de bombe qui nous cause beaucoup de noise et s’en réjouir. Mais il ne perd rien pour attendre !

[Diderot] Je crois surtout qu’il s’est lui-même mis dans une situation difficile. Il a perdu l’appui de beaucoup des humanistes, ses amis jusque-là dont nous faisons partie, et obtenu le soutien encombrant des milieux dévots et royalistes qu’il n’a jamais aimés.

[Jean-Jacques (qui intervient sur le devant de scène)]
Je n’ai guère perdu que de faux amis taraudés par les manigances du madré Voltaire. Je sais ainsi à quoi m’en tenir sur leur fidélité.

[D’Alembert, jovial] Alors, comme ça Denis, vous êtes à l’origine de la récente vocation de notre très controversé ami Jean-Jacques qui fait enrager Voltaire... et de son récent revirement.
[Diderot] Ah, comme vous y allez ! En l’encourageant, je voulais simplement l’aider à trouver sa voie, l’inciter à se révolter contre le conformisme des élites qui m’indispose régulièrement. Que diable, un écrivain ne doit-il pas mettre le doigt là où ça fait mal et poser les questions qui dérangent et même qui fâchent le commun !

[Jean-Jacques (qui intervient sur le devant de scène)]
On ne demande plus à un homme s’il a de la probité mais s’il a des talents ;ni d’un livre s’il est utile mais s’il est bien écrit. Les récompenses sont prodiguées au bel esprit et la vertu reste sans honneur. 

[D’Alembert] Et apparemment, vous n’y avez pas manqué, mon cher !
[Diderot] En fait, tout est parti de mon incarcération au château de Vincennes. J’ai été condamné pour athéisme comme si l’Inquisition sévissait encore. Sur la fiche de police que je me suis procurée, il était stipulé : « Garçon plein d’esprit mais extrêmement dangereux. » 
[D’Alembert]  Plutôt flatteur mais ô combien menaçant !
[Diderot] Ah mes amis, dans cette difficile épreuve, votre sollicitude m’a été si précieuse : Jean est venu me remonter le moral et vous-même mon cher Voltaire avez bien voulu envoyer quelques lettres de soutien à certains de vos amis influents pour aider à améliorer mon sort.
[Voltaire] Oh, contribution bien modeste, par exemple, en écrivant à mon grand ami le comte d’Argental : « Quel barbare persécute-t-il ce pauvre Diderot ? Je hais bien un pays où les cagots font coffrer un philosophe » et en lui demandant d’user de son pouvoir pour te venir en aide.

[Jean-Jacques (qui intervient sur le devant de scène)]
Oh mon dieu, le bel esprit. Il s’est fendu d’un petit courrier pour être quitte et se donner le beau rôle à bon compte. Qui pourrait en être dupe ?

[Diderot] Jean-Jacques est souvent venu me visiter et me soutenir moralement. Il m’a été d’un grand secours mais un jour, il s’est passé un événement que je ne m’explique guère encore aujourd’hui.
[D’Alembert] Bigre, vous m’intriguez. Que s’est-il donc passé qui vous a inquiété à ce point ?
[Voltaire] Oui, oui, j’ai hâte de connaître le fin mot de cette affaire !

[Diderot] Figurez-vous, il était venu ce jour-là me visiter en prison, comme souvent. Je l’ai trouvé dans un état d’excitation indescriptible, parlant d’une voix à peine intelligible. Sous le coup d’une révélation, m’a-t-il affirmé, survenue à la lecture du Mercure de France.[Voltaire] Diable, (d’une voie de raillerie) je n’ai encore jamais vu personne défaillir à la lecture d’une gazette ! Continuez, continuez cher ami, je vous en prie.
[Diderot] M’agrippant aux épaules, les yeux au ciel, il m’a lancé sans ambages : « Plus je suis savant et moins je me sens bien dans ma peau. La vérité mon cher, oui la vérité émane de cœurs simples, d’âmes vertueuses, loin des fastes, des illusions du pouvoir et de l’argent. Ma vocation : dénoncer désormais les faux-semblants des élites, les méfaits de leur mode de vie et de tracer la voie d’une vraie renaissance. Revenir à une existence plus saine, loin des milieux frelatés dominés par les plaisirs et l’argent.
[Voltaire] Nous y voilà ! Il m’en a toujours voulu d’avoir réussi, de n’avoir aucun souci d’argent et de me consacrer tout entier à mon art. Mais à la fin, que me reproche-t-il donc exactement ?

[Jean-Jacques (qui intervient sur le devant de scène)]
Devenir riche pour être indépendant, faire l’agioteur, l’affairiste et l’usurier, c’est paraît-il son crédo. Je sais qu’il joue sur les cours des marchandises, qu’il achète ici au bas prix pour revendre ailleurs au prix fort. Il est contre la guerre mais n’hésite pas à faire de juteuses affaires avec l’armée. Voilà où nous en sommes !

[Diderot] Je m’avance peut-être mais je crois qu’il a tendance à vous voir double.
[Voltaire] Avait-t-il besoin de bésicles ou avait-il trop bu que la vue lui en fut brouillée !
[Diderot] Il doit penser que le bon Arouet, homme estimable s’il en est, est perverti par le méchant Voltaire qui publie des textes qui lui déplaisent et lui envoie des courriers qui le fâchent, comme si vous aviez une face claire et une face sombre. Les deux faces de Janus, en quelque sorte.

[Voltaire]  Vous m’ouvrez là des perspectives vertigineuses mon cher !
 [D’Alembert]  Il ne supporte pas ce que vous représentez, du moins selon sa perception : votre façon de parler de l’argent, d’encenser la richesse, votre appétence pour les salons, votre goût pour les mondanités... Enfin votre vie en quelque sorte, qu’il voit comme artificielle par rapport à une façon de vivre plus près de la nature.
[Voltaire, se prenant la tête]
Vraiment, ça dépasse de loin mon entendement !

[Jean-Jacques (qui intervient sur le devant de scène)]
Si l’écrivain est un maître reconnu par tous, un esprit d’une élévation qui force le respect, l’homme est attiré par les paillettes de succès illusoires et avide de gloires éphémères. Tel est ce François-Marie qui se cache derrière Voltaire. Ce diable, à force de trop aimer les carrosses et les parfums, a gaspillé son temps en futiles activités qui l’ont éloigné de son art. 

[Voltaire]
Je vous le dit, mes chers amis, ce diable d’homme ne nous apportera que des déboires !

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Acte III – Scène 2 -  Voltaire - J'herborise II
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[ Reprise de Jean-Jacques acte II : Voltaire est vêtu d’un long tablier, de bottines-sabots et arbore un grand chapeau de paille,. Il s’occupe des pots de fleurs disposés tout autour de lui]

Eh oui, eh oui, -ne me faites pas ces yeux ronds- j’herborise moi aussi. Pourquoi serait-ce l’apanage des écolos rousseauistes ? Voyez la tenue adéquate que j’arbore. [Il fait admirer sa tenue] Voyez la tenue ad hoc. [Il se pavane] Je vais bientôt ressembler à un paysan. Eh oui, je fais comme ce fêlé de Jean-Jacques, j’herborise. Vous trouvez peut-être que je n’ai pas une tête à herboriser. En tout cas, les apparences sont sauves : n’ai-je pas l’air d’un véritable écolo soucieux de ses plantes ?

[Il farfouille dans ses pots de fleurs] Peut-être bien qu’un jour, le plus tard possible, en l’an 3000, ce sera la norme. Pourquoi pas, tous les goûts sont dans la nature.

Oh, Nature… j’ai prononcé le mot tabou. Voyez, voyez, je soigne avec précaution mes fleurs et mon potager. Mais, apparemment, je n’ai pas vraiment la main verte. [Il l’exhibe] j’ai bien essayé de passer des gants verts mais ça ne fonctionne pas. Regardez cette pauvre plante qui s’étiole. Quel désespoir ! Décidément, je ne suis pas dans mon élément.  
Ça ne fait rien : je me sens ici comme un citadin en vacances respirant le bon air champêtre.

[Il quitte ses gants, prend une rose entre ses doigts et hume son odeur]
Hum, quel parfum ! Je me dis parfois que la nature est bien faite. Pour qui exhale-t-elle cette odeur si suave ? Pas spécialement pour moi, c’est sûr. Pour l’air le temps, alors ? Ah, il m’étonnerait fort que cette fragrance qui me chatouille les narines soit gratuite et ne serve pas à attirer irrésistiblement dans ses filets quelque insecte en quête de nourriture. Tout se paie content, même dans la nature, n’en déplaise à ce pauvre Jean-Jacques.

[Il la tourne et la retourne entre ses doigts] Moi, voyez-vous, je mets les mains à la pâte.
Avec ce sacré Jean-Jacques, c’est un peu la même chose. Je goûte la finesse de ses descriptions, la dialectique de son argumentaire, la subtilité de ses piques, même si parfois elles m’échauffent la bile. Et je m’y pique. Je me pique à son caractère acéré, retors, qui m’exaspère et me hérisse le poil. Ah, même avec des gants fourrés ou une armure, je crois qu’il me piquerait encore !

Laissons cela et revenons à notre jardin. Regardez, je donne un petit coup de griffe pat ici, un petit coup de ciseau par là et le tour est joué. Un jeu d’enfant… même si mon jardinier me donne un coup de main… il faut bien l’employer n’est-ce pas. Aie, même avec les gants, je me suis enfoncé une épine dans le doigt ! Hou la la, ça fait mal ! Ouille, ouille, ouille, sacrés rosiers et leurs branches pleines d’épines… J’aurais mieux fait de planter des marguerites. Mais comment résister à la délicatesse de ce parfum ! 

Ah, regardez-moi ça, je me suis mis de la terre plein les doigts. [il s’essuie à son tablier] Parce que moi, figurez-vous, je mets les mains à la pâte, je ne me contente pas d’admirer la beauté des petites fleurs des prés ou d’effeuiller la marguerite.

[Il prélève une autre rose dans un pot]
Ah le la, les roses c’est quelque chose. La nature en a produit de différentes couleurs : des roses, des rouges, des jaunes, même des blanches. Et quel parfum. Mais vous verrez qu’un jour l’homme créera à son tour d’autres variétés. Des roses bleues pourquoi pas ? Le génie de l’homme peut suppléer et dépasser les limites de la nature. Et ça, le Jean-Jacques et ses complices ne le comprendront jamais. 

[À force de la tripoter, il se pique encore avec la rose]
Aie, aie, aie ! [en se suçant le doigt blessé] cette rose est bien comme ce Jean-Jacques, à m’agresser à l’improviste. Ah, il est bien mon meilleur ennemi.

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Acte III – Scène 3 -  Voltaire et Mme Necker -  J'herborise III
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[Voltaire]
Oh, je crois bien que quelqu’un arrive par le jardin. Il me semble percevoir des pas sur le gravier de l’allée. Viendrait-on me visiter en mon nouveau logis ?
[Mme Necker débouche dans le jardin ensoleillé, protégé par une ombrelle. Elle s’arrête devant lui et contemple le spectacle]

Mais que vois-je mon bon maître ? Mon dieu, quel accoutrement, pour un peu, je ne vous aurais pas reconnu.

[Voltaire]
Chutt, chutt, ma bonne amie et presque voisine, ne le répétez pas : j’herborise. [étonnement de Mme Necker] Oui, oui, j’herborise, vous avez bien entendu. Pourquoi en laisserais-je le monopole au grand Rêveur Solitaire ?
Oh la la, [dit-il en pouffant] il ne faudrait que le Genevois en cavale l’apprît, il m’enverrait encore une lettre comminatoire de son crû pour se plaindre de la concurrence, geindre et pointer du doigt ma duplicité. Quelle joie ce serait n’est-ce pas pour cet écorché vif.
[Mme Necker, moqueuse]

Il est un fait que vous lui tondez l’herbe sous le pied, ah, c’est le cas de le dire. S’il venait à l’apprendre, il en serait fort dépité et sans doute très énervé. [rires]

[Voltaire]
Oh mais quel humour ma chère. Je ne vous connaissais pas tant d’ironie.
[Mme Necker, toujours aussi moqueuse]

Il faut bien que l’on se gausse de son prochain… surtout quand il y prête le flanc. Et puis il n’y a guère de mal à ça.

[Voltaire]
Je vous le concède volontiers mais l’animal a l’épiderme fragile. Ah, c’est curieux, je m’étais promis de n’en plus parler et voilà qu’il revient presque naturellement dans la conversation. Pourtant, lui donner tant d’importance ne vaut guère la peine. Ah, je m’en veux d’être aussi faible.
[Mme Necker, redevenue sérieuse]
Vous avez raison, le sacripant n’en vaut pas la peine. D’autres sujets plus sérieux nous appellent et en premier lieu la défense de l’Encyclopédie qui est dénigrée et attaquée maintenant d’une façon inégalée.

[Voltaire]
Je constate que vous aussi êtes inquiète de la tournure des événements. Malheureusement, vous avez bien raison d’être préoccupée…

[À ce moment-là, le tonnerre retentit et quelques éclairs fusent, la pluie commence à tomber]
[Voltaire]
Oh, ça se corse dirait-on. Le soleil n’aura pas perduré.
[Mme Necker]
Bon sang, et mon ombrelle qui s’envole !

[Voltaire]
Vite, vite, venez vous mettre à l’abri. [ils courent vers la maison] Sacrebleu, quelle fichue nature, elle est en colère contre moi  et il nous faut la dompter. Décidément, Le Nôtre avait raison avec son jardin à la Française, rien ne vaut un beau jardin tracé au cordeau par la main de l’homme, où pas un brin d’herbe ne dépasse !

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<<< Ch. Broussas, IA Acte III 20/11/2022 © • cjb • © >>>
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