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Les Chevessand
15 avril 2022

14- L’envers du décor M4

14- L’envers du décor - Modus (4) [113]

          

Une ONG comme la nôtre ne vit pas des subventions d’un gouvernement. Pas davantage de dons occultes de lobbies occidentaux aux buts non avouables. Et ça ne manque pas.

Certes, nous bénéficions nous aussi de concours financiers, en premier lieu  de ceux qui partagent nos objectifs et de ceux que nous avons aidés et qui nous aident à leur tour. C’est le cas de l’Algérie et on nous l’a beaucoup reproché. Ce n’est pas le cas de Cuba malgré ce qu’on a pu dire et écrire à ce propos.  Tous ceux qui ont voulu nous enfermer dans un système, nous réduire à être le faire valoir d’untel ou untel se sont cassé les dents.

Nous n’avons en fait qu’un objectif : aider ceux qui le désirent à être libres des puissances économiques dominantes et des enjeux géopolitiques qui les dépassent. Ce qui n’est pas une mince affaire. Mais ce qui nous met aussi à l’abri de toute approche dogmatique. Nous intervenons au coup par coup, uniquement guidés par la perception que nous avons de la déontologie de nos interlocuteurs et de la qualité du projet qu’ils nous soumettent. Ceci, en dehors de toute idéologie.

De plus, les époques changent, le monde évolue et les affinités d’hier ne sont pas forcément celles d’aujourd’hui. Ce qui me permet d’affirmer que nous ne dépendons de personne. Notre liberté d’action est le premier argument de notre carte de visite.

Pour nous, chaque peuple doit avoir le droit de vivre dans le confort et la dignité. C’est un principe irréfragable mais c’est trop rarement le cas, il faut bien le constater. Alors nous luttons en sachant que la réussite n’est pas forcément au bout de nos efforts. Au moins, nous semons quelques graines qui germeront et grandiront si les événements sont favorables, mais dont on ne récoltera pas forcément les fruits.

En fait, nos objectifs sont modestes, il ne s’agit pas d’influer sur les données géopolitiques actuelles, nous n’avons aucune ambition hégémonique de ce genre, ou de manager des groupes d’intervention, de faire ou de défaire des États. Ce n’est pas dans notre ADN comme on dit maintenant.

Le mois dernier par exemple, j’ai reçu des gens qui ne supportaient plus la répression généralisée qui frappait leur pays, les décimait et leur volait leur terres. Sans enthousiasme, ils s’étaient décidés à entrer en dissidence et à organiser la lutte contre une dictature qui étouffe leur pays. Un pays d’Amérique latine, comme c’est trop souvent le cas dans cette partie du globe.
C’est là que se pose la question du comment et c’est là qu’on peut intervenir en leur apportant notre expérience et notre expertise.

Avant d’en arriver au cœur du problème, il faut poser les bases d’un dialogue véritable, les conseiller, les guider pour leur éviter de tomber dans le genre de piège attentats-répression, qui est assez fréquent. Ça, c’est plutôt le travail de Lothine, qui sert à déblayer le terrain et à partir sur de bonnes bases. Je redoute par-dessus tout les malentendus et les non-dits. On met les choses sur la table et on voit dans quelle mesure on peut collaborer… ou non. Parce qu’il y a aussi des échecs, quand on nous demande ce qu’on ne peut ou ne veut pas faire.

L’autre jour, j’écoutais un chômeur, licencié depuis peu, qui disait : « Qu’est-ce que je vais faire maintenant, je ne sais rien faire d’autre. » Je me suis demandé  ce que moi, j’aurais pu faire d’autre. Des tas de choses sans doute, tout n’est question que d’opportunité et de  motivation.
On suit sa voie, c’est tout.

Ma vie, je me suis fait à cette idée qu’elle peut s’arrêter à tout instant.  Ça vient sans doute de mon oncle, mis en joue et fusillé, miraculeusement rescapé qui disait « toutes les années que j’ai vécues depuis, je les considère comme du rab. Alors pourquoi s’inquiéter ? » Savoir affronter, ça aide à vivre. J’ai déjà reçu des lettres anonymes, des menaces de mort, rien de bien grave en apparence. Enfin, ce n’est pas l’avis de mes proches. Ils se font du souci pour moi et j’en suis vraiment ému.

Je vis avec, comme mon oncle au temps de la Résistance. Cet oncle a exercé sur moi une grande influence. Bonne ou mauvaise, peu importe, ce n’est pas la question, mais il a largement contribué à devenir celui que je suis. Il s’intéressait aux autres, à moi. Un type complexe. Mon père, absent et prévisible, je lisais en lui comme dans un livre. Quand je le regardais longuement d’un air sérieux, ça le mettait mal à l’aise. Avec mon oncle, un échange de regards et il savait si ça allait ou pas. C’est parce qu’il s’intéressait. Ensuite dans ma vie, j’ai rarement rencontré de type qui ait eu cet air entendu, cette densité dans le regard, qui en imposait naturellement.

Oui, ma vie peut s’arrêter comme ça comme une fois j’ai pu le constater. Comme chaque jour, je suis parti pour aller au bureau. Tout au plus, vingt minutes à pieds, sans dérogation. Toujours le même parcours. Au rond-point de la longue avenue qui conduit à la mairie, j’achète le journal dans le kiosque, je discute quelques instants avec le vendeur qui me connaît bien depuis tout ce temps.

Le retour s’effectue par le même trajet. J’aime les points fixes dans ma vie, peut-être parce que ma jeunesse en fut dépourvu. Ou peut-être pas, comme si tout se ramenait à la jeunesse. Après le bout de la longue avenue, je prends à gauche. Une rue qui grimpe vers la colline, puis de nouveau à gauche, une petite rue qui virole, avec d’un côté un escalier escarpé qui décrit un crochet pour revenir sur le boulevard du plateau.

C’est là que tout s’est joué. Deux types m’attendaient, tapis dans un tournant. Nos yeux se croisèrent. J’entendis siffler une balle et d’instinct, je me jetai dans l’escalier, protégé par un pilier d’angle sur lequel s’écrasèrent encore quelques balles. De ma vie je n’ai couru aussi vite, sans réfléchir, avalant des marches tournant en colimaçon. J’avais eu chaud. Mais ce n’est qu’en revivant cette scène que j’eus peur et que je pus vraiment mesurer ma chance d’avoir échappé à cet attentat.

Par la suite, jamais je n’ai accepté d’être protégé. Sans doute, plus par orgueil que par laxisme. Pas non plus par fatalité comme on m’en a accusé, c’est contre ma nature. Je crois en la vertu de la volonté et de la patience. Comme dit l’adage, « Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage. » Un peu sentencieux mais avec une saine leçon de vie.
Travail administratif et parfois dangereux. Dans mon activité, on se fait des ennemis. C’est inévitable. On prend des risques, c’est inévitable.

Ma préoccupation du moment, c’est ce changement à la tête d’un autre mouvement qui veut absolument nous concurrencer. Avec son prédécesseur, celui qu’on appelait Le gros Louis, les relations  sans être cordiales, étaient… disons normalisées. Eux plus engagés, plus en soutien de groupes révolutionnaires, n’hésitant pas à livrer des armes ou à donner dans l’infiltration. Ce que j’avais toujours refusé.

Le Maure, le nouveau boss, voulait tout, refusant de reconduire les accords tacites passés avec Le gros Louis. D’où les problèmes actuels. Cette réunion dont j’attendais beaucoup, n’avait donné aucun résultat, chacun campant sur ses positions, n’écoutant pas les arguments de l’autre.
C’était au point où je me demandais si Le Maure n’était pas téléguidé par des gens qui nous voulaient du mal, jugeant nos actions néfastes à leurs intérêts ou à ceux de leurs commanditaires.

Les derniers événements m’incitaient plutôt à me demander si nous n’avions pas été infiltrés. Une taupe peut-être ou une connexion entre nos deux mouvements. Je ne suis quand même pas un néophyte et je sais juger les hommes. Et je possède aussi mon réseau. Je sais que les deux compères Albert Clamence et Jean-Michel Pyron ont connu un certain Gérard Caron, maintenant chez Le Maure, qu’ils se revoient  parfois. J’ai d’ailleurs envoyé AC en éclaireur pour en tester le fameux Gérard. On parviendra bien à savoir ce qu’il a dans le ventre. Je sais que De Laine voit lui aussi ce fameux Gérard fort intrigant qui joue au jeu dangereux de l’agent double. Hugues aura quelques explications à me donner.
Gérard Caron, le chaînon manquant : un pion dans le jeu de Le Maure et un caillou dans ma chaussure. De quoi me mettre la puce à l’oreille.

Je connais le dos des cartes, l’envers de ce décor que j’ai tant contribué à tracer et dont, par la force des choses, je suis le seul à en maîtriser tous les aspects. C’est d’ailleurs pour moi plutôt un poids que je ne peux partager avec personne. La griserie du pouvoir ne m’a jamais excité.
J’ai vraiment l’impression que maintenant nous nous trouvons à la croisée des chemins.

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<<< Ch. Broussas Modus (4) .. © CJB  ° 26/05/2022   >>>
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  • Histoire d'une famille, Les Chevessand, une saga à travers le portrait de quelques personnages, qui éclaire sur leur personnalité, leur parcours et les conditions de vie à telle ou telle époque.
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