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Les Chevessand
20 novembre 2022

6- L'impossible amitié Acte VI Lisbonne

L'impossible amitié Acte VI Lisbonne & la providence

Scène 1 : Jean-Jacques – Montmorency -- Scène 2 Voltaire Lisbonne
Scène 3 : Jean-Jacques – La providence -- Scène 4 Voltaire Remonté contre JJ
Scène 5 : Jean-Jacques Plus serein -- Scène 6 Voltaire Échauffé

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Acte VI – Scène 1 -  Montmorency
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[Jean-Jacques - Montmorency]
« Adieu Paris, nous cherchons l'amour, le bonheur, l'innocence ; nous ne serons jamais assez loin de toi. » Adieu la grande ville bruyante aux inégalités criantes. Il est vrai que le confort n’est guère au rendez-vous. Après le superbe Ermitage de Mme d’Épinay, ma chère Louise avec qui je suis brouillé, irréconciliable, c’est maintenant la maison des courants d’air de Montmorency en compagnie de ma chère Thérèse.

De très bonne heure, je vais dans mon « donjon », tranquille au fond du jardin,  avec ma chatte Citoyenne et mon chien Duc. Je recopie de la musique, mon gagne-pain. C’est dans cette bien modeste thébaïde que je vais écrire mes meilleurs morceaux qui me causeront bien des ennuis, que ce soit « Julie ou la Nouvelle Héloïse », où je me retrouve si bien, « Emile ou De l'éducation », qu’on me reprochera jusqu’à mon souffle ultime ainsi que « Du contrat social » qui me permit d’exprimer le fond de ma pensée politique. Ces bonnes dispositions d’esprit me permirent d’oublier la passion qui me prit pour Sophie d'Houdetot, la belle-sœur de Mme d'Épinay.

Même mes amis encyclopédistes n’apprécièrent pas mes écrits. Même Diderot critiqua mon retrait ici : « L'homme de bien est dans la société, il n'y a que le méchant qui soit seul » se permit-il de dire. Voltaire me porta le coup de grâce en écrivant cette infamie : « Comment ose-t-il écrire sur l'éducation, lui qui a abandonné les siens aux Enfants trouvés, sans l'ombre d'un remords. »
Mais j’ai ma conscience pour moi et puis affirmer sans rougir que j’ai « consacré ma vie à la vérité. »

En cette année 1760, je sens qu’un complot s’ourdit autour de moi. Qui d’autre que ce Voltaire pourrait mieux que lui en tirer les ficelles ? Je sais maintenant que je suis épié, surveillé en permanence. J’ai enfin découvert le serpent tapi au cœur de ma maison : la mère de Thérèse, ma compagne. Incroyable, n’est-ce pas ! Et pourtant, c’est bien elle, payée, stipendiée par Diderot et Grimm, si j’en crois ce qu’on m’a rapporté. Si, si, vous m’avez bien entendu je n’en croyais pas mes oreilles. Elle a fini par m’avouer qu’elle les renseignait sur mes lectures, mes contacts, mes conversations, surveillant mes courriers, fouillant mes poubelles, envoyant chaque mois un compte-rendu à ses commanditaires.  Dans ma propre maison, vous rendez-vous compte !

Mais qui sait s’il n’existe pas un autre espion dans mon entourage ? Ces gens qui me guettent, qui me harcèlent, sont si nombreux, si pugnaces qu’il faut que je sois constamment sur mes gardes. On m’accuse parfois de me défier de tout le monde, d’être même misanthrope mais c’est bien eux qui m’y contraignent. Si je vois des ennemis partout, c’est qu’ils sont de partout. [Moue d’évidence]

Thérèse eut beau gémir, pleurer, supplier, rien n’y fit : Je fus contraint de placer la traîtresse en maison, dans d’excellentes conditions je tiens à le préciser, malgré les bruits qui ont couru sur ma sécheresse de cœur. Dans ce domaine, je n’ai de leçon à recevoir de personne.
De toutes ces attaques, je fis d’affreux cauchemars qui durèrent longtemps, malgré les soins affectueux de Thérèse.

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Acte VI – Scène 2 - [Voltaire, véhément] Lisbonne
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Ce tremblement de terre qui a ravagé Lisbonne en ce terrible 1er novembre 1755 et fait quelque 50 000 victimes, m’a révolté, m’a ému au plus profondément de mon être. « Ô malheureux mortels !,  ô terre  déplorable ! / ô de tous les mortels assemblage effroyable ! » ai-je écrit dans mon poème sur cet atroce événement. Mais j’ai aussi tenu à être clair et à dénoncer un optimisme béat qui nous vient de Leibnitz et de quelques autres qui prétendent que le monde est gouverné par la Providence et qu’un Mal nécessaire est compensé par un Bien supérieur. Ah, la bonne mathématique que voilà, c’est à faire frémir. Bon sang, que la Providence a bon dos !

Ô pauvres lisboètes, pour ces gens vous n’êtes que des maux nécessaires sacrifiés sur l’autel du bien public. Comme on sacrifiait dans l’antiquité des enfants pour plaire à l’Éternel. Tous les thuriféraires qui prônent que « Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles » ne sont que des "Candides" à œillères et ne font qu’encourager l’inaction et le fatalisme.   Toute ma vie, il me faudra ferrailler contre tous les obscurantismes de la planète et défendre la liberté.

Si j’ai tenu cette fois à fourbir ma plume, c‘est pour pourfendre ce genre d’idées dangereuses, pour m’exclamer et m’exclamer encore dans mon poème :
« Aux cris demi-formés de vos voix expirantes,
Au spectacle effrayant de leurs cendres fumantes,
Direz-vous : "C’est l’effet des éternelles lois
Qui d’un Dieu libre et bon nécessitent le choix ?"

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Acte VI – Scène 3 - [Jean-Jacques La providence]
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J’ai mis longtemps avant de me résoudre à répondre à Voltaire à propos de son poème sur le tremblement de terre de Lisbonne. « Quel crime, quelle faute s’écrit-il, ont commis ces enfants ? » Pathétique, quelle duplicité ! En réalité, ce n’est qu’un prétexte subtilement utilisé pour développer ses vues sur le Mal et cette fameuse Providence que chacun cuisine à sa sauce.

Selon moi, la providence bienfaisante, œuvre de Dieu, "peut malgré sa volonté ou plutôt  par sa bonté même, sacrifier quelque chose du bonheur des individus à la conservation du tout." On pourrait dire en une simple formule que « tout est bien pour le tout. » Si Dieu existe, qu’est ma vie comparée à l’univers, sinon « il ne faut point discuter sur ses conséquences. » Ceci étant, j’ai trop souffert dans cette vie pour ne pas espérer, quelque part en moi,  en une Providence bienfaisante.

Un coupable, il leur faut absolument un coupable ! Dieu, le Mal, la Providence, tout dans le même sac. Et la Nature donc, belle responsable qui a le culot de n’obéir qu’à sa loi et non à celles des hommes. Cette Nature indomptable et cruelle qui a balayé la ville de Lisbonne et occis des milliers d’habitants innocents ! Il faut toujours un coupable ou un bouc émissaire qui puisse exonérer les hommes de leur appât du gain, leur instinct grégaire à paître au bord de l’eau. « Je ne vois pas qu’on puisse chercher la source du mal moral ailleurs que dans l’homme libre, perfectionné, partant corrompu. »

Et je lui prouvai que de tous les maux, il n’y en avait pas un dont la Providence ne fût disculpée et qu’il n’eût sa source dans l’abus que l’homme a fait de ses facultés plus que dans la nature elle-même.

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Acte VI – Scène 4 -  (26L)  - [Voltaire, assez remonté contre Rousseau]
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Ah, faut-il encore que je me soucie de ce sacré Jean-Jacques qui ne cesse de me chercher pouilles. J’ai pourtant d’autres martels en tête, d’autres préoccupations. Lui ne s’occupe que d’herboriser, aux soins de quelques bienfaiteurs qui assurent son ordinaire comme Louise d’Épinay qu’il a bien mal récompensée de sa bienveillance, l’ingrat, de Madame de Warens, du duc et de la duchesse de Luxembourg. Chaque fois, il trouve moyen d’ensorceler une personne de bien pour l’entretenir et lui servir de protecteur.
Il est bien mal placé pour me reprocher d’être un affairiste et de m’être enrichi !  

Bon, passons… Le problème essentiel maintenant, c’est une nouvelle attaque pour déstabiliser le courant encyclopédiste qui est ourdie. Une comédie en particulier, Les Philosophes de Charles Palissot, attaque virulente contre les encyclopédistes et les progressistes, connaît un énorme succès qui nous porte gravement tort.

Une pièce d’autant plus dangereuse qu’elle est joliment tournée. La Cour, les jésuites en profitent pour tirer sur nous à boulets rouges. L’Encyclopédie est à l’arrêt, attaquée de toutes parts et D’Alembert songe sérieusement à se retirer. Voilà où nous en sommes.

De plus, comme je vais emménager à Fernay, je me suis engagé dans moult travaux qu’il me faut surveiller et suivre leur évolution. Heureusement que ma nièce Mme Denis me seconde activement et m’est indispensable pour mener à bien cette lourde tâche. 

Curieux personnage que ce Palissot qui, tout en se disant mon disciple, n’en prend pas moins dans son collimateur tous mes amis et me cause bien du souci. Dans sa pièce, il a curieusement annexé Rousseau sous forme du valet Crispin démasquant les faux philosophes.

S’ajoutaient à cette attaque l’article malheureux de d’Alembert sur Genève et les interventions intempestives de ce sacré Rousseau car « partout où je veux avancer, cet énergumène vient tout compliquer. »
Et ce Jean-Jacques, comme à dessein, qui vient encore noircir le tableau ! Ah, il a vraiment bien choisi son moment !

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Acte VI – Scène 5 - [Rousseau, plus serein, libéré d’un poids]
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Ça y est, l’abcès est crevé. Je me sens comme délivré depuis que je lui ai écrit tout ce que j’avais sur le cœur ! Je ne sais comment monsieur le châtelain de Fernay le prendra mais peu me chaut. J’ai commencé par une formule choc, cinglante : « Je ne vous aime point, monsieur. » Voilà au moins qui est sans prémisse et sans ambiguïté ! Avec tous ces ennemis que je sens sur mes basques, j’étais comme le taureau dans l’arène : sur le qui-vive, menacé de toutes parts.

Ah, Genève me manque et je me languis de son lac, de ses bateaux, de ses paysages alentour si reposants. Né citoyen de Genève, je veux y mourir de même. Mais je sais fort bien que ma lettre à d’Alembert sur les spectacles ne m’a pas valu que des amis dans ma cité natale, surtout au Petit Conseil et parmi les notables "voltairiens". De toute façon, avec Voltaire dans la place, ma chère ville risque d’y perdre son âme.

Mon ami Moultou, le seul sans doute à qui je peux encore faire grande confiance, m’a d’ailleurs mis en garde contre Voltaire et sa rage de théâtre : «  Sans mentir, Monsieur, cet homme nous fait beaucoup de mal. »

Alors, pour que mes griefs soient énoncés sans ambages, je lui ai précisé : « C’est vous qui me rendez le séjour dans mon pays insupportable. C’est vous qui me ferez mourir en terre étrangère, privé de toutes les consolations des mourants. »
Voilà qui est fait et quelles qu’en soient les conséquences, j’en assume tous les risques. Il fallait que les choses fussent dites. Désormais, elles le sont.

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Acte VI – Scène 6 [Voltaire, étonné puis énervé, échauffé]
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Ah, ah, ah, j’en ris encore, à gorge déployée ! Quel torchon que cette lettre. On me dit retors mais je le crois d’un puéril désarmant, s’il n’était délétère.  J’en aurais même pissé de rire si cette sacrée prostate qui me taraude n’était pas si douloureuse.

Sacrebleu, encore ce Jean-Jacques, encore lui, le trouverai-je sans cesse sur ma route ? Il suffit que j’oublie quelque peu son existence pour qu’il trouve le moyen de se rappeler à mon souvenir. À croire qu’il n’attend que ça. Entre nous, ce doit être quelque chose comme une question d’épiderme. Il ne me supporte pas, c’est aussi simple que ça, même si ça n’explique rien.

Que faudrait-il faire, sinon « lui donner des bains froids, tout ce qui pourrait refroidir sa bile échauffée, le faire revenir à la raison, si possible. » [Puis interrogatif, perplexe] Son attitude me dépasse. Pourquoi diable m’accuse-t-il de le persécuter ?

Certes, certes, j’ai parfois raillé son passéisme –le mot ne lui plairait pas… qu’importe – [il le chuchote, l’air malicieux], son côté méprisant pour tout ce qui concerne les lettres, les sciences, les arts en général. Mais était-ce une raison suffisante pour m’envoyer cette lettre comminatoire qui sent cette austérité genevoise que ne renieront pas certains révolutionnaires. Ah, ah [se moquait-il], il n’y a pas que les précieuses qui soient ridicules.

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<<< Ch. Broussas, IA Acte VI 20/11/2022 © • cjb • © >>>
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