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Les Chevessand
20 novembre 2022

7- L'impossible amitié Acte VII Le ballet

L'impossible amitié Acte VII Le ballet Chassés-croisés

« Je ne connais guère ce Jean-Jacques Rousseau à qui on puisse reprocher ces idées d’égalité et d’indépendance, et toutes ces chimères qui ne sont que ridicules. » Voltaire

   

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Acte VII – Scène unique -  Voltaire et Jean-Jacques -
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[Ils se croisent tour à tour sur scène sans jamais se voir, se dénigrent et se tournent en ridicule. Puis à la fin, deviennent plus objectifs]

[Voltaire]
Ce Jean-Jacques n’est qu’un Timon aigri et un misanthrope. Cet horloger a décidément les rouages de la tête tout à fait détraqués ! Il croit pouvoir changer le monde à coups de baguette magique. Quel naïf !

[Jean-Jacques]
Le plus insupportable, c’est sa tendance à pérorer devant une assistance et faire le courtisan devant un parterre d’arrogants qui ne lui arrivent pas à la cheville.

[Voltaire]
Je le laisse volontiers jouer les ilotes romantiques, alors qu’il me laisse briller à mon aise dans les salons parisiens si j’en ai envie.

[Jean-Jacques]
Moi, quand j’étais chez ma bonne Louise, ma bienfaitrice, j’éprouvais un indicible plaisir de voir tous les faux-jetons invités me faire de belles courbettes. Plaisir jubilatoire s’il en est.    

[Voltaire]
Écrire un traité sur l’éducation après avoir abandonné aux Enfants-trouvés, ses propres enfants, voilà bien une incroyable indécence. Pauvre Émile, que ne passe-t-il de ses idées fumeuses à la pratique ?
[Jean-Jacques]
Ah, que ne m’a-t-il pas reproché l’abandon de mes enfants ! Mais que se permet-il de juger, lui qui n’en a pas, qui n’a jamais été fichu d’en faire un à sa chère Émilie. Et finalement, elle est allée voir ailleurs. Ce qui lui a été fatal.

[Voltaire]
Quelle honte ! Je comprends qu’il se cache et refuse de fréquenter le monde. Je comprends aussi Madame Suzanne Dupin de Francueil, qui a appris ses inconséquences, outrée par son comportement inqualifiable.

[Jean-Jacques]
Oh mon dieu mes enfants, c’est un malheur dont il faut me plaindre et non crime à me reprocher !

[Voltaire]
Les femmes qui ont pris soin de lui, il les a abandonnées sans scrupules. Belle mentalité ! Quant à la pauvre Thérèse, permettez-moi de rester coi sur le sujet. Il butine, il butine, c’est normal pour un naturaliste. [Ah, ah]
[Jean-Jacques]
Critiquer Dénoncer ma liaison avec Thérèse, lui qui se dit mécréant, ne l’empêche pas de copuler avec sa nièce. Oh, Mme Denis par ci, Mme Denis par là, sauvons les apparences. Quelle duplicité ! 

[Voltaire]
Je ne voudrais pas comparer mais entre ma merveilleuse Émilie et sa Thérèse, aucune comparaison possible. Entre la grâce, l’intelligence et sa souillon, il existe un fossé incommensurable.
[Jean-Jacques]
Ce paltoquet de Voltaire a osé se moquer de ma chère Thérèse que son obscure naissance a privée d’éducation. Mais lui, que comprend-il aux subtilités mathématiques que lui inflige sa dulcinée !

[Voltaire]
Oui, il est bien mal apparié avec cette pauvre Thérèse et sa famille qu’il se croit obligé de nourrir tout ce monde.

[Jean-Jacques]
Il est mal placé ce freluquet pour gloser sur ma Thérèse, lui qui est cocu, car il est cocu l’Arouet ; ah, ah, sa belle Émilie engrossée par un autre. Lui qui aime particulièrement le théâtre, il est servi !

[Voltaire]
Il a beau jeu de critiquer mes relations avec « les Grands de ce monde » comme il dit avec condescendance, que ce soit Frédéric II ou la tsarine Catherine II, lui qui met très peu le nez hors de France, qui ne jure que par son Genève où il brille par son absence.
[Jean-Jacques]
Quel camouflet il a pris le Voltaire avec le roi de Prusse. Rattrapé à la frontière, ah quelle fuite piteuse. Il manque vraiment d’amour-propre ! Et l’autre monarque qui l’a ensuite traité d’orange à presser ? Ah, ah, toute l’Europe a dû s’étouffer de rire !

[Voltaire]
Il a réussi à se brouiller avec tous ses amis. Même Diderot le bat froid.

[Jean-Jacques]
Regardez pour l’Encyclopédie, à force de jouer au franc-tireur, même D’Alembert lui a écrit : « Vous faites donc l’Encyclopédie à vous tout seul ! »

[Voltaire]
À quoi sert-il au juste ce môssieur Rousseau ? Il vit en rêveur solitaire, vautré dans une nature idéale, écrit de fumeux traités qu’il ne met jamais en œuvre. En fait, il vit au détriment de ceux qui lui prêtent une oreille complaisante, aux crochets de ses bienfaitrices.
[Jean-Jacques]
À quoi sert-il au juste ce môssieur Voltaire ? Il se donne l’illusion d’aider les autres et il a fini par y croire, sacrebleu, servi par la puissance de son argent et la dévotion de ses affidés.

[Voltaire] - À bien y réfléchir, je le crois agité de jalousie à mon égard, n’hésitant à me jeter son dépit au visage à la moindre occasion.
[Jean-Jacques]
C’est pour lui très gratifiant de jouer les sauveurs des Callas et compagnie, de recevoir pourquoi pas la médaille du mérite mais sauver un homme ne change pas la loi. Il n’envisage même pas que seule une action collective peut changer une société qui brime les hommes. 


[Voltaire]
Sauver un homme, c’est les sauver tous, c’est dénoncer l’iniquité et par là même discréditer le pouvoir qui l’a permis.

[Jean-Jacques]
Par ses actions brouillonnes, ce diable de Voltaire ne fait que confondre révolte et révolution.


[Voltaire]
On ne peut tout changer tout de suite. Il faut alors agir avec les armes dont on dispose, faire bouger les choses sans tout détruire.
[Jean-Jacques]
Pour lui, la nature n’est qu’une ressource faite pour produire et rapporter de l’argent.


[Voltaire]
La nature, je l’ai vue à travers les paysans qui suent sang et eau pour lui arracher quelques subsides.

[Jean-Jacques]
Il pense que tout doit se plier aux hommes, qu’il faut dompter la nature comme un animal sauvage… mais elle sait se défendre.


[Voltaire]
La nature est pour les hommes bénédiction et calamité, distillant au hasard gelée, sécheresse, canicule, pluies torrentielles qui les laissent sans défense.

[Jean-Jacques]
Pour que la nature soit généreuse, l’homme doit d’abord la respecter et prélever juste le nécessaire.


[Voltaire]
Je suis un homme pragmatique et je crois que le génie de l’homme consiste à dominer sa condition.
[Jean-Jacques]
Le bonheur, c’est de se sentir en communion avec la nature.


[Voltaire]
Le bonheur, c’est de parvenir à se réaliser.

[Jean-Jacques] Envisage-t-il une seconde d’atteindre la sérénité dans des villes sans âme ?

[Voltaire - se tenant la tête]
Pourquoi diable perdre mon temps en échanges stériles, à m’échiner à lui répondre pour récuser ses théories ?

[Jean-Jacques - se tenant la tête]
Pourquoi diable est-ce que je pense tant à lui et qu’il focalise toutes mes pensées ?

[Voltaire, les bras au ciel]
Que de temps perdu ! Je lui réponds, il me répond, on se répond… On n’en finit pas de se répondre !
[Jean-Jacques
, les bras au ciel]
Au lieu de me bombarder de mots fielleux, il ferait mieux d’aller cultiver son jardin !

[Pause de quelques secondes, ils se déplacent sur l’avant-scène, chacun d’un côté]

[Voltaire, se radoucissant]
Ah, sacré Rousseau, quelle haute idée du genre humain tu as ! Même si tu es lymphatique, vain et immoral, même si tu m’énerves avec tes idées utopiques, ton honnêteté, ta persévérance forcent mon admiration et me touchent vraiment.
[pensif] Ce qui me donne parfois des regrets.
[Jean-Jacques, se radoucissant]
Ah, sacré Voltaire, même si tu es parfois frivole, exaspérant, prompt à faire le courtisan, intrigant et calculateur, tu as aussi l’esprit droit et généreux, j’aime la grâce qui anime ton théâtre et toute ton œuvre.

[pensif] Ce qui  pardonne beaucoup de choses. 

[Voltaire] - Ah, comment lui en vouloir vraiment quand je le sens honnête et sans défense.
[Jean-Jacques] Finalement, je ne peux que reconnaître son prestige, louer son dynamisme et la finesse de sa pensée.

[Voltaire] Finalement, il est bien le seul digne de ferrailler avec moi.
[Jean-Jacques] Ah, si je ne l’aime point, au moins mérite-t-il tout mon respect.
[Voltaire] Ah, s’il n’est point mon alter-ego, du moins suis-je enclin à reconnaître son altérité.

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<<< Ch. Broussas, IA Acte VII 20/11/2022 © • cjb • © >>>
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