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Les Chevessand
25 avril 2022

16- Recomposition

16- Recomposition Mise au point) – maj 26/04/22 – (84L+75L)

                           

Modus ne pouvait en rester là. Les problèmes de ces dernières semaines avaient suscité beaucoup de réactions, quelques règlements de compte feutrés jusqu’au débordement de De Laine. Personne ne pouvait l’ignorer et se mettre des œillères. Chapitrer De Laine, bien sûr, mais après. Il fallait le mettre sur le grill pour en avoir le cœur net. Ses accusations n’étaient pas gratuites, s’il a balancé deux noms l’autre jour, c’est qu’il se sentait piégé comme un gibier. Il fallait bien en tirer les conclusions : faire le ménage.
Il convoqua De Laine, bien décidé à le coincer.

Il était sur la défensive. Modus le fixa sans aménité.
- Je t’écoute.
- Heu, d’abord je suis prêt à m’excuser publiquement.
- N’essaie pas de noyer le poisson. Ce n’est pas la question.
Plus moyen de tergiverser. Modus savait… au moins l’essentiel.

- C’est de la faute des filles. Sarah connaît quelqu’un de chez Le Maure.
- Un dénommé Gérard. Apparemment, elle n’est pas la seule à le connaître, soupira Modus
Les choses étaient claires, ils avaient été infiltrés. De Laine blêmit.
- On sort ensemble depuis quelque temps. Omerta bien sûr, donc on a été trahi.
- Eh non, c’est lui qui t’a trahi. Un type dangereux, il mange à tous les râteliers.
- Je n’ai été qu’un pion dans leur jeu.
-Ils se sont servis de toi. Leur manœuvre est claire : te mouiller pour en mouiller d’autres, instiller le doute. Et c’est bien ce qui s’est passé.
- Je te jure que je n’ai rien vu venir.
- Tu croyais vraiment que tu pourrais impunément le fréquenter !
De Laine, tétanisé, se leva et s’enfuit du bureau.

- Hugues, on a encore des choses à se dire, ce n’est pas fini, cria Modus avant qu’il ne quitte son bureau.
Exit De Laine. Fin de l’acte I.

Restait les filles. Modus n’avait pas l’intention de jouer un mélo, seulement mettre de l’ordre dans la maison. Tiens, la Maison, il ya longtemps qu’on n’avait plus utilisé ce terme. Pourtant, il en disait long sur la mentalité de ceux qui le prononçaient.
Les filles n’en menaient pas large. Vu la tête de Modus, on n’en était plus aux mondanités. Lothine se tenait en retrait, Sarah très fébrile et Odile regardait ses pieds. (31)

- Je vous écoute. Qui commence ?
Elles se regardèrent, surprises de cette entame. Sarah se racla la gorge.
- Je vais vous mettre à l’aise, si toutefois c’est possible. Vos deux collègues ont bien travaillé, Hugues sort de mon bureau, je ne vous en dis pas plus, et ils ont aussi mis à jour certains liens disons fort critiquables avec en particulier un certain Gérard. Dois-je vous le décrire ?

C’est à cet instant que Sarah a craqué.
- Oh mon Dieu, c’est vrai, on est sorties ensemble s’amuser en boîte et on s’est fait draguer par deux mecs sympas. Ils nous ont offert un verre, on a discuté… On ne se méfiait pas, pourquoi se serait-on méfiées ?  
-Et le piège a fonctionné, n’est-ce pas ! C’est pourtant une technique classique.
- Peut-être, mais on ne peut pas toujours se méfier, avoir peur de tout, être en alerte chaque fois qu’un mec te regarde avec insistance ou t’aborde gentiment, dit Lothine sur un ton véhément. Ça fait partie des aléas du job. Sinon, on ne vit pas. (44)
- Justement, toi qui es la plus expérimentée, tu aurais dû intervenir en couverture. Et c’est dans tes attributions.
- Je sais écrire des fiches de poste mais la réalité du terrain, c’est autre chose. Et je me flatte de la maîtriser aussi bien que toi. Mais on ne peut pas tout prévoir. Ce serait même une belle étude de cas à proposer à nos stagiaires. Maintenant, si tu cherches une responsable ou un fusible, je suis prête.

Visiblement, Lothine était à cran, pas à prendre avec des pincettes, prête à sortir les griffes.

- Bon, fit Modus en se calant dans son fauteuil, comment faire pour éviter de telles dérives ? Vous voulez quelques pistes ? D’abord, connaître l’Autre. Avons-nous un organigramme détaillé –et à jour- de leur structure, avons-nous un trombinoscope pour savoir au moins à quoi ils ressemblent ? Non, rien de tout ça. Avons-nous infiltré quelqu’un dans leurs rangs, comme eux avec ce Gérard ? Pas davantage. Nous souffrons d’un déficit organisationnel considérable.
Je ne veux lancer la pierre à personne mais il va nous falloir un gros effort collectif. Nous en reparlerons bien entendu.

Comme à son habitude, Modus calma le jeu. Il n’avait nulle envie de se colleter avec Lothine, ayant bien d’autres soucis pour le moment.

- Malheureusement, il y a autre chose.
La remarque de Modus tomba comme une volée de plomb. (63)
- Personne ne sait à quoi, ou plutôt à qui, je fais allusion ?

Odile Charvit ne put s’empêcher de rougir.
- j’ai appris, mais après coup, que le type qui accompagnait Gérard était Le Maure en personne. Ils ont bien dû jubiler !
-Tu te rends compte que tu étais en train d’amorcer une liaison avec Le Maure ! J’ai quand même du mal à l’avaler. On n’est quand même pas des enfants de cœur, on devrait savoir à quoi s’en tenir sur les méthodes utilisées.
Exit Odile et Sarah. Fin de l’acte II.

« Faire le ménage » avait annoncé le boss.
On ne saura pas ce qui s’est passé avec Francis Carduel, ni à quel niveau sa responsabilité était engagée. Y aurait-il eu une cabale contre Modus en réponse aux difficultés des derniers mois ? Question taboue. Elle ne sera pas posée.
Exit Francis. Fin de l’acte III. (76)

Les décisions ne tardèrent pas à tomber : réorganisation des groupes, direction croisée et collégiale avec Mario Corléon et Lothine Morgause, Odile et Sarah partiraient plus souvent sur le terrain, assurer la formation de groupes aptes à survivre en milieu hostile et à s’en sortir par leurs propres moyens. Le travail ne manquait pas. On était régulièrement sollicité pour assurer ce genre d’intervention.
Quelques jours plus tard, Odile partit en mission au Brésil, Sarah en Argentine et en Bolivie, Lothine assurant la coordination et supervisant l’ensemble.
Quant à Modus, il avait disparu, parti disait-on, "se mettre au vert". (84)

Portrait-témoignage  de Sarah Morgan

Ma figure de référence, mon modèle, ce fut ma grand-mère. Une femme extraordinaire, militante irlandaise toujours sur la brèche, symbole de la résistance contre le pouvoir anglais qu’elle jugeait comme un pouvoir colonial. Elle émigra aux États-Unis comme nombre de ses compatriotes mais pour des raisons politiques, chassée par les Anglais comme du gibier.
Avec un arrière-goût amer d’échec, de ne pas être allée au bout de son désir.

Dans ce Nouveau Monde qu’elle découvrit avec crainte et enthousiasme tant il différait de ce qu’elle avait connu pendant sa jeunesse, elle trouva vite sa place et reprit d’autres combats aux côtés des minorités noire et hispano.  Elle milita surtout en faveur des droits civiques et du droit des femmes à l’égalité économique et politique.
Une femme de combat.

Non seulement je l’admirais mais en plus on disait aussi que je lui ressemblais. Pas seulement au physique mais surtout dans le rapport à ma condition de femme, le manque de considération des machos, les humiliations dont souffrent d’abord les plus faibles. Je ne pouvais que la comparer à ma mère qui resta toujours dans son ombre, ombre elle-même qui s’effaçait derrière la forte personnalité de sa mère. Elle aurait pu reporter sur moi sa tendresse brimée, mais non, Je ne l’ai jamais intéressée, d’ailleurs elle ne s’intéressait pas à grand-chose,  et elle m’a rapidement abandonnée. Quant à mon père…

Comme beaucoup d’enfants dans mon cas, j’ai été trimbalée d’institutions en familles d’accueil, déracinée, sans relations suivies qui auraient pu me stabiliser et me donner quelques certitudes. Et bien sûr,  cette situation m’a durablement marquée.

Mais croyez pas davantage qu’elle m’ait traumatisée. J’ai fait de bonnes études, d’excellentes même, m’installant à Paris pour m’inscrire à la Sorbonne, menant la vie studieuse de beaucoup d’étudiants. Mais il m’en restait quelque chose, une retenue, une méfiance vis-à-vis des autres. Je restais repliée sur moi-même, assez isolée entre mes cours, la fréquentation de la bibliothèque et d’une association féministe. Réduite la distance qui me séparait des autres, me paraissait insurmontable.
 
Le déclic me viendra d’une rencontre avec des militants, la découverte de la solidarité, des rapports simples et détendus, naturels en quelque sorte. J’ai été attirée comme un aimant, une certaine curiosité au début, un certain retrait comme à mon habitude mais ils m’ont accueillie sans méfiance, sans me poser de questions. Comme si on se connaissait depuis toujours.

Tout de suite, j’ai participé à un groupe de soutien aux étudiants étrangers, à une cantine commune pour les plus démunis. Période exaltante où, en petits commandos, on allait dans les magasins, sur les marchés discuter avec les responsables, avec les commerçants pour récupérer les produits invendables, déclassés, les vêtements démodés… tout ce que la société de consommation considérait comme des déchets bons à jeter. Pour la première fois, j’avais vraiment l’impression d’être utile.

J’ai appris ainsi à m’imposer, moi la timide, la réservée,  souvent repliée sue moi-même, à me frotter à des gens avec qui je devais négocier. Cette famille comblait mes vides, je m’y sentais bien, moins oppressée en tout cas.
Et puis, j’ai bien roulé ma bosse comme on dit, à l’université de Columbia puis à celle de Montréal au Canada avant de revenir en France, de retrouver plusieurs copains et mes marques dans ce pays qui me paraissait plutôt mélancolique, plutôt centré sur son passé.

 Après mon divorce – oui, il y eut cet entracte- , j’ai rencontré un type épatant, un militait dévoué. Il m’a prise sous son aile, m’a aidé à prendre en charge les exilés des dictatures, souvent paumés, sans repères dans un pays inconnu. Je leur apprenais les bases de la lutte clandestine, comment mettre en œuvre les sécurités nécessaires à leur survie.

Sans fioritures, sans techniques sophistiquées auxquelles ils n’auraient jamais accès. Je leur enseignais les rudiments de la lutte clandestine : les façons de semer d’éventuels poursuivants, de sonoriser un lieu pour brouiller les écoutes, sans oublier de se mettre à la place de l’ennemi  et de percer ses failles. Avec l’objectif de minimiser le risque.  

Cette nouvelle  vie me rappelait le temps de mes études, une vie harassante et excitante avec des copains qui ne se prenaient surtout pas au sérieux. Les cours aussi se déroulaient dans un climat chaleureux et amical.
Une vie difficile mais pleine de sens.

Parmi eux, un type que je n’avais guère remarqué. Un type assez commun ne me plaisait pas particulièrement. Mais j’avais déjà donné. Je savais le prix des passions, la légèreté des passades, la vanité de ce vernis. J’avais eu pas mal d’aventures, un mariage, des aventures, alors méfiance. Mais sur de tels sentiments, on ne bâtit rien de solide.

Je l’avoue, ses avances me firent plaisir, secrète satisfaction que je refoulai, en sa présence plutôt distante, une pointe de dédain qui en aurait rebuté plus d’un. Il lui a fallu du temps et de la persévérance pour vaincre ma froideur et m’apprivoiser. Avec notre passé, il valait plutôt mieux se préserver pour avoir un avenir.
C’est ainsi que j’ai pris mes distances avec Modus et le groupe.

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<<< Ch. Broussas, Recomposition 23/04/2022 84L © • cjb • © >>>
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