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Les Chevessand
1 décembre 2021

6- Un travail de fond - Lothine

6 – Un travail de fond **** Lothine Morgause **** 67+61 -

             

C’est en chinant du côté des quais de Seine, chez les bouquinistes, que j’ai rencontré Modus. À l’époque, j’allais mieux, j’avais sorti la tête de l’eau et donné un bon coup de balai dans ma vie. Finis les boulets, les prétendus amis qui trimbalaient leurs sempiternels problèmes comme une carapace et vous les refilaient à la première occasion. J’avais appris à aimer les livres, surtout ceux qui prennent racine dans l’histoire et racontent la réalité des temps passés, la dure vie de celles et ceux qui n’ont pas forcément laissé leur place dans l’histoire.

Au moment où je m’apprêtais à jeter mon dévolu sur un gros bouquin traitant de la littérature au XIXème siècle, un homme me le souffla sous le nez. 
- Ah, vous me l’enlevez pratiquement des mains, monsieur.
- J’en suis marri chère madame.
Son style un peu désuet me fit sourire.
- Jacques-Antoine Travers de Modus mais le plus souvent, on m’appelle simplement Modus. Peut-être pourrions-nous en prendre connaissance ensemble ?

Et il se mit à me lire la présentation du 4ème de couverture. Il me fit ensuite un commentaire sur les avantages et les limites de ce genre d’ouvrages, avec un sérieux qui me déconcerta. Après il m’offrit un verre dans un des bistrots alignés de l’autre côté du quai. Discussion à bâtons rompus qui l’intéressa davantage quand je lui expliquais mes projets, la volonté de pouvoir donner cette fameuse seconde chance qu’on ne m’avait jamais accordée.

- Je suis désormais formée aux méthodes de négociation et d’arbitrage. Un monde inédit pour moi. Ça peut paraître paradoxal compte tenu de mon parcours personnel mais justement, je m’étais lancé ce défi sans bien penser aux difficultés à surmonter.
- Ah, ce que vous me dites m’interpelle particulièrement. Vous avez vraiment un profil intéressant. Non seulement cette démarche fait parie de mon quotidien mais je pense qu’elle est essentielle pour pouvoir améliorer les rapports humains
Je l’ai d’abord pris en plaisantant. 
- Alors, mon profil vous intéresse.
- Il semble que nous ayons des préoccupations communes.
- Lequel de mes profils préférez-vous, celui de droite ou celui de gauche, légèrement de trois-quarts, c’est mieux, non ? 
Et je me plaçais de trois-quarts en souriant. Il sourit à son tour en me regardant prendre la pause.
- Je vois que vous ne manquez pas d’humour... »
Il ne donnait pas l’impression d’en avoir beaucoup.

Pendant mes missions, j’ai toujours cherché à aider les gens en évaluant leurs motifs et leurs capacités. Les gens ont tendant à avoir trop confiance en eux ou pas assez. Surtout dans ces groupes qui luttent souvent contre des dictatures avec des moyens dérisoires.  Ma méthode les prend souvent de cours. Parfois, ils n’acceptent pas ce préalable et la contestent avec véhémence.

Il me faut ramer, m’imposer en leur prouvant que je connais les conditions dans lesquelles ils évoluent, leurs difficultés et les raisons de leur appel à nos services. C’est ce qui me plaît.
Préalable indispensable. Tant qu’on n’a pas franchi ce stade, inutile d’aller plus loin. Sinon, on patine. Comme dit Modus, sur le ton sentencieux qu’il emploie souvent, « il vaut mieux apprendre aux gens à pêcher plutôt que de leur donner du poisson. » Modus en a plein sa besace de ces phrases. Et il me plaît aussi pour ça.

Souvent, je passe par une phase préliminaire, que j’appelle phase de fixation, genre, « savez-vous pourquoi beaucoup de groupes de Résistants français ont été démantelés par les Allemands pendant la Seconde guerre mondiale ? C’est ainsi que j’amorce la discussion, comme on attire les poissons en leur lançant un peu de nourriture. Et en général, ils mordent. Je peux alors commencer ma mission et entrer dans le vif du sujet.

Au cours de mes missions, j’ai connu de tout. C’est en même temps stimulant et fatigant. Des groupes super motivés qui se lancent à corps perdu dans la lutte sans prendre de précautions. Des groupes non structurés adeptes des coups de main. Des groupes échaudés qui crient "au secours". Des groupes qui attendent trop de nous, qu’on déçoit ou au contraire qui contestent notre action. Ça arrive. De toute façon, on ne peut pas répondre à toutes les demandes, alors on fait comme on peut. Je n’vous dis pas les discussions quand on doit choisir et définir des priorités. On vit ainsi des périodes en creux, difficiles à supporter, des "entre nous" comme dit Modus.  
Le soutien aux pays du tiers-monde est motivant mais très souvent, il atteint vite ses limites.

Portrait-témoignage de Lothine Morgause

Même si je travaille avec Mario Corléon, j’ai toujours tenu à garder une grande autonomie. Modus le sait et nous avons fini par trouver un équilibre. D’ailleurs chez nous, les groupes évoluent en fonction des missions… et des personnes. On opère en réseaux selon les capacités de chacun.

On dit que je suis assez cassante, petite brune aux yeux noirs expressifs,  mince et nerveuse, ne mâchant pas ses mots. Bref, je ne fait pas l'unanimité. Il faut me prendre comme je suis et je n’ai pas l’intention de changer, de faire des efforts. En tout cas, dans ce domaine. C’est curieux cette propension quand on parle d’une femme, de confondre "avoir du caractère" et "avoir sale caractère". Attitude qui a évidemment tendance à m’énerver.

Ma vie a souvent été un parcours d’obstacles et j’ai connu bien des déboires avant de rejoindre le groupe. Mais, plus ou moins, chacun selon son parcours, on en est tous là. Ce n’est pas pour rien qu’on a pris la décision d’adhérer au mouvement de Modus, trouvant un certain équilibre dans notre implication. C’est un peu comme ces gens qui se cherchent et partent faire du bénévolat en Afrique. Sauf qu’on prend plus de risques.

Quand on est balancé dans le grand bain de la vie, soit on se débat et on s’en tire, soit on coule. Je me suis débattue, j’ai survécu. Le passé, c’est terrible, ça vous colle à la peau sans qu’on puisse vraiment s’en débarrasser. Maintenant, je sens mieux le passé remonter, les démons de ma jeunesse qui viennent de temps en temps me chatouiller et je me cambre, prête à régir. Maîtriser la crise qui menace de me submerger, dominer mon corps, décompresser, évacuer mes fantômes… Inutile de dire qu’à ces occasions, je ne suis pas à prendre avec des pincettes.

Ceci explique qu’au début, je ne savais comment me faire admettre et trouver ma place dans la structure. Ce genre de groupe qui vit sur lui-même a toujours du mal à s’élargir pour accepter quelqu’un d’extérieur. De mon côté, je n’étais pas très réceptive, pas vraiment disposée à faire des efforts. Modus m’a bien aidée pour que mon arrivée se passe sans à-coups, avec sa façon de contourner les difficultés, de désamorcer les conflits.

La règle chez nous est d’éviter d’avoir une liaison avec un membre de l’équipe, qui risquerait de fausser les rapports avec les autres. Moi, je m’y suis toujours tenu et Modus est assez rigoureux sur le sujet. Lui-même a beaucoup d’entregent et prend bien garde de prendre ses distances avec tout le monde. Nous en avons d’ailleurs parlé plusieurs fois et son attitude n’a en l’occurrence jamais varié. Ce dont je me félicite.

Bien sûr, la règle est ce qu’elle est et les attirances réciproques existent, elles ne peuvent pas être facilement réprimées. Ce n’est un secret pour personne que Hugues de Laine et Odile Charvit aiment plaire et soignent leur image. Entre eux, c’est comme chien et chat et on ne sait jamais où on en est. Il est sûr qu’ils ne partiront jamais en mission ensemble. Mais chaque crise entre eux ont un impact sur le climat général. On l’a bien vu récemment dans nos dernières réunions. Leur cœur n’y était pas et certaines décisions ont été reportées. Ce qui n’est jamais bon pour le moral.

En parlant de moral, je pense à ma sœur Léa. La seule fois où j’ai cru sombrer, c’est bien lors de sa mort. Avec sa disparition, c’est tout un pan de ma jeunesse qui s’est écroulé. Avec Léa, c’était à la vie, à la mort comme on dit. Et c’est la mort qui a gagné. Ma petite sœur, je l’ai aidée tant que j’ai pu. À l’orphelinat, elle était constamment dépressive, incapable de réagir, ballottée entre celles qui l’enfonçaient et l’administration qui fermait les yeux. Et moi là au milieu qui m’évertuais à lui tenir la tête hors de l’eau.
Une vie, c’est quelques moments forts, au mieux quelques années qu’on ne regrette pas, l’atteinte de l’ataraxie comme disent les philosophes et un océan de viduité.

En fait, je l’ai souvent portée à bout de bras jusqu’à ce qu’elle se stabilise et se marie. Je me disais qu’on avait franchi un palier, parcouru notre chemin de croix. Espoir, ce putain d’espoir chevillé au corps. Elle allait mieux. Ce poids que je sentais sur mes épaules s’allégeait. Jusqu’à son cancer, jusqu’à cette nouvelle épreuve qui me prit à l’improviste, jusqu’à sa fin inéluctable. Contre toute logique, j’ai espéré jusqu’à la fin.
J’ai encore beaucoup du mal à en parler.

             

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