Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Les Chevessand
21 novembre 2021

3- Un homme singulier M1

3- Un homme singulier - Modus (1) - La réorganisation - 106L -



« Mes détracteurs disent que je suis hanté par une « illusion lyrique » aussi irréaliste que dangereuse. Dont acte. Moi, j’aime cette expression qui fait référence à l’avènement de la Deuxième république, à ses leaders très charismatiques comme les belles figures d’Alphonse de Lamartine et de François Arago.
Cette « illusion lyrique » qui reposait déjà en 1848 sur l’idée que les peuples puissent librement choisir leur destin, a quand même abolit l’esclavage et posé des bases du suffrage universel. Pas si mal pour un régime qui a très vite dérivé vers l’Empire.
Voilà pourquoi je revendique cette expression que certains considèrent comme péjorative. Ce genre d’utopie s’est déclinée en une avancée essentielle en matière de politique sociale.
Merci donc à tous les détracteurs des empêcheurs de rêver qui enragent de voir parfois le rêve devenir réalité. »

Le temps maussade n’inclinait pas à l’insouciance. Face aux récentes difficultés d’organisation qu’il rencontrait de plus en plus souvent, Modus s’était résolu à faire évoluer des structures figées depuis la création du mouvement. Son plan était déjà arrêté mais avant de le mettre en œuvre, il tenait à le présenter à ses deux adjoints Mario Corléon et Francis Carduel.

Comme d’habitude quand il voulait réfléchir, il arpentait les rues de son quartier les mains dans le dos, marmonnant parfois tout seul entre ses dents. Perdu dans ses pensées, il ne percevait rien de e qui se passait autour de lui, des femmes qui s’activaient, d’enfants qui jouaient au foot.

Depuis peu, le nombre de demandes d’aide provenant de mouvements mal identifiés, dont on ne savait pas grand-chose ou même quasiment inconnus, avait beaucoup augmenté. Les dossiers incomplets s’accumulaient. Pour se faire une idée de la situation locale, il fallait se rendre sur place, avec toutes les difficultés logistiques que ça impliquait. Pas question d’aider n’importe qui mais pas question non plus d’éconduire des gens dignes d’intérêt comptant sur eux.
Pas question de prendre langue avec un groupe pour s’apercevoir un jour qu’il était manipulé, pas question encore d’aider un groupe dont les objectifs ne sont pas clairs, qui peuvent varier et  mettre le mouvement en porte-à-faux.

Question centrale : À qui avons-nous à faire ? Pour beaucoup, c’était assez simple : des groupes déjà connus, bien répertoriés ou qu’on avait parfois côtoyé à l’occasion d’une de nos interventions. Finalement, c’est un milieu assez fermé qui évolue au gré des Révolutions et des coups d’État. Il n’y a guère que l’Europe qui soit à peu près stable.
Pour décider, il faut le faire en connaissance de cause. Il aurait fallu recueillir plus d’informations fiables en amont… toujours avoir un coup d’avance. Et là, se disait Modus, on était un peu courts.
C’est là que le bas blessait.

« Oh, se dit-il soudain, je vais être en retard à la réunion avec mes adjoints. » Il se hâta de rejoindre son domicile où ils devaient se retrouver. Ils étaient déjà là, l’attendant avec impatience, dubitatifs depuis l’annonce de cette entrevue impromptue.

- Asseyez-vous, asseyez-vous donc, rien d’urgent, rassurez-vous mais je tenais à ce qu’on se voit en privé.
- Tu joues à quoi Jacques-Antoine ?
Entrée en fanfare par un Corléon assez irrité. Qu’il l’appelle par son prénom, c’était un événement. Il était quasiment le seul à pouvoir se l’autoriser. Modus saisit le message.
- Je ne joue pas, Mario, tu le sais, toi qui me connais bien. Laissons ceci à ceux qui n’ont rien d’autres à faire ou des comptes personnels à régler.
- C’est quand même gênant cette entrevue en catimini, tu ne trouves pas ? Si ça se savait, on pourrait nous le reprocher.
- J’en prends la responsabilité. Je veux simplement qu’on évoque tous les trois, ici à l’écart, l’esprit détendu, les réformes à apporter à notre organisation.
- Il est vrai qu’on croule sous les sollicitations sans bien savoir comment y répondre. Et la situation ne s’améliore pas.
- C’est la rançon de notre succès.
- Une rançon qui génère quelques problèmes, n’est-ce pas ?
- Des problèmes d’autant plus présents qu’on a reçu quelques directives certes, mais qui ne constituent pas vraiment une politique, une ligne de conduite claire à laquelle se référer. Alors, on travaille surtout au coup par coup.
- Je vois que nous sommes sur la même longueur d’ondes Francis.

         

Modus leur expliqua son plan basé sur deux principes : mieux travailler en réseau et former des équipes ad hoc, complémentaires si possible pour remplir telle ou telle mission, constituer des dossiers, mêmes disparates au début, pour n’importe quel groupe détecté, qu’il soit structuré ou embryonnaire. Ainsi, on ne sera pas pris de cours et on aura déjà des informations à la moindre sollicitation. Là aussi, on pourrait travailler en réseau pour réunir et recouper les données recueillies. Mais notre principe d’action demeure : nous ne faisons jamais le premier pas, nous attendons toujours d’être contactés avant de proposer notre concours.

- Dans ce schéma, les groupes disparaissent,  objecta Francis.
- En tout cas, leurs rôles deviendront secondaires. Ce n’est en fait que la logique de l’évolution actuelle puisqu’ils avaient perdu de leur importance.
- Ce n’est pas seulement la notion de groupe qui est remise en cause. Ce changement aura aussi un impact structurel.
- Sans doute, sans doute…

D’évidence, Modus n’avait pas envie de se lancer sur cette voie et apparemment, Mario Corléon n’avait pas l’intention de s’en mêler. Mais Francis Carduel ne lâcherait pas aussi facilement.

- Selon moi, la principale conséquence de ce changement est le passage d’une structure en partie pyramidale à une structure réseau.
- En fait, rien de vraiment innovent dans mes propositions, plutôt une prise en compte des évolutions récentes de nos modes d’action. Je sais bien où tu veux en venir et c’est effectivement un point névralgique dont nous devrons discuter.
- Alors, tu connais mes objections, non pas aux orientations que tu as esquissées mais à leurs difficultés d’application.
- Je puis vous assurer que je mettrai tout sur la table, comme je l’ai toujours fait, on discutera de toutes ces questions et personne ne sera défavorisé. J’aurai d’ailleurs grand besoin de votre soutien pour expliquer cette réforme.

Dur, dur de toucher aux habitudes. Heureusement, Mario était resté en retrait, gêné de se liguer avec Francis pour mettre Modus en difficulté. Il tenait à les rassurer mais aussi à poser ses marques pour qu’il n’existe aucun malentendu sur la fermeté de ses intentions.

- Si vous avez des propositions à me soumettre avant cette réunion, croyez qu’elles seront les bienvenues et qu’elles feront l’objet de toute mon attention.
 Puis il posa ses mains à plat sur la table pour être plus solennel et ajouta en guise de conclusion : « Nous allons de nouveau être offensifs et rendre coup pour coup à tous ceux qui nous combattent. J’ai déjà fait quelques séjours en prison, j’ai déjà été victime d’une tentative d’homicide. Mais, vous le savez,  je peux être très têtu et j’ai le cuir bien tanné. »

Pour compter, il faut être fort… ou à la rigueur, le paraître.
Mais on ne peut pas toujours être fort, s’opposer efficacement… seule solution : faire le dos rond, laisser passer l’orage et fourbir ses armes pour préparer la suite. On m’a jeté en prison, menacé d’expulsion, placé en résidence surveillée, rien n’y a fait. J’ai baissé la tête quand il le fallait et j’ai relevé le front quand j’ai pu. Quand le vent a tourné.  

Être fort, jouer au surhomme, se placer au-dessus de la multitude, quelle fatuité… et quelle fatigue. « Ce qu’il y a de plus singulier dans la vie de l’homme, a écrit l’écrivain Henri David Thoreau, ce n’est pas sa soumission mais son opposition aux instincts. Il aspire à une vie surnaturelle. » Ce besoin de se projeter hors de soi pour devenir un autre en quelque sorte, m’est étranger. Malgré tout ce que j’ai vu, malgré tout ce que j’ai subi dans ma vie, je m’en suis tenu à ma propre nature et n’ai jamais perdu la foi en mon étoile.
Jamais non plus dévié de ma ligne de conduite.

----------------------------------------------------------------------------------------
<<< Ch. Broussas Un homme singulier . © CJB  °03/06/2022   >>>
----------------------------------------------------------------------------------------

Publicité
Publicité
Commentaires
Les Chevessand
  • Histoire d'une famille, Les Chevessand, une saga à travers le portrait de quelques personnages, qui éclaire sur leur personnalité, leur parcours et les conditions de vie à telle ou telle époque.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Les Chevessand
Pages
Publicité